Instaurée dans l'urgence, il y a presque deux ans, la loi sur le droit au logement opposable (DALO) est entrée dans sa phase juridique le 1er décembre 2008. Depuis cette date, les demandeurs prioritaires (personnes sans logement, menacées d'expulsion, hébergées temporairement...), qui n'auront pas été relogés, peuvent déposer un recours devant le tribunal administratif. S'il est condamné, l'Etat doit verser une astreinte qui servira à abonder un fond destiné à financer le logement social. Au fil des mois, les difficultés de mise en oeuvre de la loi et ses manquements se sont affirmés.
Un déficit de relogement. Certains redoutaient un afflux considérable de demandes : le chiffre de 600 000 requérants avait été avancé. La réalité est bien en deçà. Au 30 septembre, 114 480 dossiers avaient été déposés depuis l'ouverture de la procédure, dont 105 223 demandes de logement et 9 257 demandes d'hébergement. 34 876 demandes ont été jugées recevables par les commissions de médiation chargées d'évaluer les dossiers et 14 746 se sont vu proposer une solution. Sur ce total, 10 573 ménages ont finalement été relogés ou hébergés à la suite d'un recours, les 4 173 restants l'ont été avant de passer en commission.
Ces chiffres cachent des écarts importants selon les départements : les taux de rejet des dossiers par les commissions varient ainsi de 12 % dans l'Eure à 74 % dans le Val-d'Oise. Les associations suspectent certaines préfectures de sélectionner les dossiers en fonction du nombre de logements disponibles.
Le casse-tête de l'Ile-de-France. Ces écarts se retrouvent aussi dans le taux de relogement ou d'hébergement. C'est en Ile-de-France que le dispositif joue sa crédibilité. La région, qui regroupe à elle seule près des deux tiers (63 %) des dossiers, est aussi celle qui a le plus de mal à honorer ses engagements.
Selon le comité de suivi qui comprend des représentants de l'Etat, des associations et des bailleurs, plus de 90 % des 9 780 ménages prioritaires qui n'avaient pas obtenu de logement dans le délai prévu par la loi (trois à six mois selon la taille de l'agglomération) étaient franciliens. A Paris, le respect de la loi est d'ores et déjà impossible : 90 % des décisions de relogement n'aboutissent pas, faute de logements sociaux disponibles.
La mobilisation de l'offre. Les logements mis à disposition sont prélevés sur les "contingents préfectoraux" de logements sociaux. Théoriquement, le préfet a un droit de réservation sur 25 % des logements de chaque organisme HLM, soit, pour la France entière, quelque 60 000 logements qui devraient être attribués en priorité aux ménages en grande difficulté.
La réalité est tout autre. Selon un rapport du Conseil d'Etat, publié en juillet, "seul un tiers des préfectures géreraient actuellement leur contingent en direct et moins d'une dizaine selon les règles de réservation prévues par la loi". En outre, beaucoup de préfets ne connaissent pas ou mal l'état, la localisation et le nombre exact de logements de leur contingent.
Cette défaillance, déjà préjudiciable avant la loi DALO, n'est plus possible si l'Etat veut honorer ses engagements. Depuis la loi de mobilisation pour le logement du 25 mars 2009, un quart des logements réservés par les collecteurs du 1 % logement doit bénéficier à des ménages ou des demandeurs d'emploi, reconnus prioritaires au titre du droit au logement opposable.
Mi-novembre, le secrétaire d'Etat au logement, Benoist Apparu, s'est engagé à donner des consignes strictes aux préfets afin que soient mobilisés "effectivement" le contingent préfectoral et celui du 1 % logement. Selon M. Apparu, 10 000 à 15 000 logements sociaux supplémentaires par an pourraient être ainsi utilisés pour résorber une partie des demandes.
Complexité et lenteur. Le nombre de recours contentieux entamés par des ménages n'ayant pas obtenu de logement est faible : 2 409 fin septembre. Ce résultat s'explique par la complexité et la lenteur du dispositif. Avant de se retourner contre l'Etat, le demandeur doit attendre que son dossier soit déclaré prioritaire, et qu'ait expiré le délai pendant lequel un bailleur doit lui faire une proposition de relogement.
Il est donc un peu tôt pour juger des effets réels de la loi. Pour l'instant, aucun recensement des décisions favorables aux requérants n'a été fait. Selon des indications concernant la seule région Ile-de-France, sur 500 recours recensés, 424 décisions ont été favorables aux demandeurs.
Faiblesse du levier financier. Autre inconnu, le montant des astreintes dont le juge peut assortir ses décisions. Leur montant est déterminé en fonction du loyer moyen du logement considéré comme adapté aux besoins du demandeur. Selon les associations, les pénalités que l'Etat s'inflige oscillent de 2,30 à 4 euros par jour alors qu'avant qu'intervienne la loi de mars 2009, la moyenne des astreintes était de 100 euros.
Outre qu'il diminue la pression sur l'Etat, ce niveau symbolique des pénalités risque de dissuader les demandeurs et les associations qui les soutiennent de se retourner vers les tribunaux. Catherine Rollot
LA LOI DALO NE RENFORCERAIT PAS LA SÉGRÉGATION SOCIALE
La mise en oeuvre du droit au logement opposable s'appuie principalement sur la mobilisation du "contingent préfectoral" destiné aux personnes défavorisées. Plusieurs observateurs pointaient le risque d'un renforcement de la ségrégation spatiale et sociale dans les quartiers où sont déjà concentrés la majorité des logements sociaux. La crainte était aussi que, au sein du parc social, ne soient proposés aux ménages se saisissant de la nouvelle loi que les logements les plus dépréciés, situés dans les quartiers les plus difficiles. Le taux de relogement en zone urbaine sensible (ZUS) indique que cet effet pervers serait limité.
D'après des chiffres recueillis au 30 juin dans seize départements, une surreprésentation des relogements en ZUS des ménages ayant engagé une procédure au titre de la loi DALO a été constatée dans seulement cinq d'entre eux : Isère, Somme, Côte-d'Or, Loiret, Eure-et-Loir.