« La crise est pour le Japon une opportunité de changer, sinon il régressera »
Pour l'auteur de théâtre Oriza Hirata, le pays doit repenser son rapport à la technologie et ne plus se montrer aussi confiant
«Aucun home politique ne serait élu s'il affirmait vouloir développer de nouvelles capacités nucléaires »
Entretien
0 riza Hirata, 49 ans, metteur en scène et auteur de théâtre japonais internationalement reconnu, est conseiller spécial en communication auprès du premier ministre, Naoto Kan. De passage à Paris, vendredi 8 et samedi 9 avril, pour présenter sa pièce, La Nuit du train de la Voie lactée, il a répondu à nos questions.
Le gouvernement est assez critiqué sur sa gestion de la crise et sa communication. Qu'en pensez-vous?
Je ne me suis occupé, auprès du ministre de l'éducation, que de la conception du message à apporter aux enfants, dans les écoles, les collèges et les lycées. Nous avons décidé de leur expliquer que, s'il n'est pas possible d'oublier les douleurs, il faut trouver un motif d'engagement, l'art, le sport, etc., pour dépasser le traumatisme. Nous leur parlons aussi des enfants sinistrés pour leur expliquer la nécessité de les accueillir dans les établissements qui n'ont pas été touchés.
Préconisez-vous d'expliquer les dangers liés au nucléaire?
Notre message dans les écoles ne dit rien sur l'énergie nucléaire car il est trop tôt pour analyser clairement la situation. Même s'il faut dès maintenant nous poser la question de son utilisation. Nous avons longtemps cru que la science et la technologie devaient apporter le bonheur. La réalité montre que cela n'est pas aussi simple et les enseignants doivent le prendre en compte. Je crois par ailleurs que les adultes doivent s'excuser auprès des enfants qui se retrouvent exposés par leur faute à la contamination radioactive. Ce ne sont pas seulement les responsables du gouvernement ou de Tepco qui doivent être désolés, mais tous les adultes.
S'excuser, oui, mais que doit-on changer?
La culture japonaise s'est développée autour de l'idée d'une vie en harmonie avec la nature. Contrairement à l'Europe, où la culture est plutôt de la maîtriser. Mais les cinquante dernières années de modernisation du pays nous ont donné trop confiance en la technologie et la science. Certes, elles nous permettent de mieux faire face aux séismes. La capacité de résistance des bâtiments est plus grande qu'il y a quinze ans, au moment du tremblement de terre de Kobe. Le 11 mars, vingt-deux Shinkansen [le TGV japonais] étaient en circulation. Il n'y a pas eu d'accident car ils se sont arrêtés automatiquement. Mais tout cela ne doit pas nous faire oublier que la nature reste la plus forte et que nous devons être humbles.
Etes-vous partisan de l'arrêt du nucléaire?
Comme beaucoup de personnes, je considère qu'il n'est pas envisageable de construire une nouvelle centrale. Nous devons avoir ce débat. Le Japon est un pays démocratique. L'avis de l'opinion compte. Je suis sûr qu'aucun homme politique ne serait élu aujourd'hui s'il affirmait sa volonté de développer de nouvelles capacités nucléaires. Je souhaite que le pays mise sur les énergies renouvelables. En une vingtaine d'années, nos technologies peuvent nous permettre de changer radicalement notre approvisionnement énergétique.. Les Japonais doivent réfléchir au changement de leur manière de vivre.
La société japonaise va-t-elle repenser sa relation au danger?
Cette catastrophe place chacun de nous face à la mort, à sa proximité. Il y a un risque objectif lié aux problèmes de contamination radioactive générée par l'accident de la centrale de Fukushima. Les antinucléaires affirment que ce risque est élevé et les « pro » soutiennent au contraire qu'il est nul. Je ne sais pas où se trouve la vérité, mais nous devons vivre avec cette menace radioactive, et je pense que cela va avoir un impact très profond sur l'ensemble de la population du Japon. Mais certainement dans les autres pays aussi.
La catastrophe à laquelle est confronté le Japon m'apparaît dans ses répercussions comparable à celle du tt septembre 2001 dans le domaine de la guerre. L'atta que contre les TwinTowers abouleversé une conception fondée sur le conflit de nation à nation pour faire émerger la menace terroriste et la manière de nous y confronter. La crise de Fukushima aura un impact aussi important.
La place du Japon dans le monde va-t-elle changer?
L'an dernier, le Japon a perdu sa place de deuxième économie mondiale au profit de la Chine. En puissance militaire, cette dernière est loin devant nous. Il faut que le Japon trouve une nouvelle forme de présence en Asie, dans les domaines culturels, médicaux... Il doit susciter la confiance et le respect de ses voisins. Le Japon doit changer sa politique dans le domaine migratoire. Notre population vieillit. Nous devons accepter— et la reconstructionva nous y encourager—l'arrivée d'immigrés, Le Japon a l'opportunité de changer. Sinon, il régressera. La reconstruction n'est pas seulement une question de technologie et de bâtiments. Il faut prendre garde que, en voulant nous protéger des tsunamis, nous n'élevions pas une muraille encore plus haute qui nous isolerait.