Elle raconte dans un sourire les félicitations que le conseil de classe a décernées à sa fille, mais lorsqu'elle évoque le rêve de Charline - devenir avocate pour pouvoir un jour aider sa mère -, sa voix se brise. Elle essuie discrètement une larme, se ressaisit en s'excusant et glisse dans un soupir. « J'essaye de ne pas trop lui montrer que c'est difficile, mais elle le voit quand même. Si elle veut m'aider, c'est qu'elle sent bien que j'ai du mal à m'en sortir. »
Odile Pétro, qui a longtemps vécu grâce au revenu minimum d'insertion (RMI), est femme de ménage à Vannes. Son travail lui rapporte environ 750 euros, cependant, depuis que le Morbihan expérimente le revenu de solidarité active (RSA), elle reçoit tous les mois un complément d'environ 250 euros. « Pour elle, le RSA est une bouffée d'oxygène », résume son chargé d'insertion professionnelle, Benoît Charpentier. Née à Aubervilliers, Odile Pétro a grandi en Seine-Saint-Denis dans une famille de neuf enfants. A 16 ans, elle commence à travailler dans une charcuterie qui vend sur les marchés. Sa mère, qui a reçu en 1985 la médaille d'or de la famille française, n'aime guère que l'on se plaigne. « Quand je lui montrais un bobo, petite, elle me disait toujours : «Ce week-end, je vais t'emmener à Berck.» Je ne savais pas que c'était une ville où l'on soignait les grands blessés. » Odile Pétro devient vendeuse dans un magasin de surgelés, puis agent administratif en contrat emploi solidarité, mais après la naissance de sa fille, en 1997, elle tombe malade. « J'ai boité, ensuite j'ai pris une canne, puis deux béquilles, puis un fauteuil roulant. » Elle recouvre la santé un an et demi plus tard, mais sa situation demeure précaire : elle ne touche aucune pension alimentaire et se contente de quelques extras. Le RMI lui permet de garder la tête hors de l'eau. En 2005, Odile Pétro décide de quitter la Seine-Saint-Denis pour la Bretagne. « Je voyais mal ma fille faire son adolescence à Aubervilliers. Au collège, je me serais rendue malade. » Elle trouve un trois-pièces à Vannes et inscrit Charline dans une école privée catholique qui lui coûte 100 euros par mois, cantine comprise. « Je trouvais que c'était mieux, il y a un peu plus de discipline. J'aimerais qu'elle trouve une bonne situation, plus tard. » Elle vit alors du RMI, auquel s'ajoutent une allocation logement de 310 euros et une prestation de soutien familial de 82 euros. Dès son arrivée à Vannes, elle est suivie par un conseiller qui l'accompagne pas à pas sur le chemin de la réinsertion professionnelle. « Ce n'était pas facile, souligne Benoît Charpentier. Elle sortait d'une période d'inactivité importante et elle élevait seule sa fille de 8 ans. Je la voyais au moins une ou deux fois par mois. » Il l'engage à prendre une carte de bus, rédige avec elle des CV, l'aide à contacter des employeurs. Un jour de 2006, elle se rend chez son médecin, qui, la voyant sans emploi, lui propose quelques heures de ménage par semaine. « Cet emploi a été un déclic, raconte M. Charpentier. Elle avait eu beaucoup de réponses négatives à ces demandes d'emploi, elle a eu soudain l'impression qu'elle pouvait faire quelque chose. » Odile Pétro est fière de travailler à nouveau mais le RMI est une mécanique dissuasive : chaque mois, la moitié des revenus de son travail sont déduits de son allocation. « Je déclarais un peu plus d'une centaine d'euros mais, du coup, ils me baissaient mon RMI et mon allocation-logement. Ce n'était vraiment pas motivant. J'ai continué parce que ça me faisait du bien de travailler, mais j'avais l'impression de faire du bénévolat. » A l'été 2007, Odile Pétro trouve enfin un véritable travail : plus d'une dizaine d'heures de ménae par semaine dans une société de services qui intervient chez des particuliers et quelques heures dans des familles qui la rémunèrent avec des chèques emploi-service. Elle compte quatre employeurs et neuf lieux de travail, et elle gagne désormais un peu plus de 600 euros par mois. « C'est bien, ça permet de rencontrer des gens et ça donne un bon exemple aux enfants », sourit-elle. La commission locale d'insertion l'aide à payer l'assurance de sa voiture afin qu'elle puisse aller travailler, ses revenus progressent, mais son RMI, lui, s'effondre : de septembre à décembre 2007, il passe de 437 à 135 euros. « Finalement, le travail ne changeait pas grand-chose à ma situation financière, soupire-t-elle. Je gagnais plus d'argent mais mon RMI baissait, mes frais de déplacement augmentaient et en plus je m'usais la santé à laver des baignoires. J'avais souvent envie d'arrêter. » En février 2008, le Morbihan se lance dans l'expérimentation du RSA. Les revenus du travail ne sont plus déduits du RMI : désormais, les « travailleurs pauvres » peuvent au contraire toucher un complément. En plus de son allocation de soutien familial, Odile Pétro sait aujourd'hui qu'elle peut compter sur un salaire de 750 euros et un RSA de 250 euros. « Etre autonome, pouvoir s'offrir un petit plaisir, comme le coiffeur, ce sont des étapes importantes », souligne Benoît Charpentier. Odile Pétro est loin de vivre dans l'opulence : une fois son loyer réglé, il lui faut payer l'école de sa fille, le remboursement du crédit de sa voiture, l'assurance et l'essence, soit environ 350 euros. A part quelques rares visites dans sa famille, en Seine-Saint-Denis, elle ne part jamais en vacances. « Vannes, c'est bien, explique-t-elle. La mer n'est pas loin, on part avec Charline en pique-nique à Sarzeau, le matin et pendant les grandes marées, on ramasse des moules, ça fait un repas ! » Odile Pétro prête attention à tout : elle n'a pas de téléphone fixe pour éviter les frais d'abonnement, elle n'achète que de la viande en promo et va au cinéma le dimanche matin quand le billet ne coûte que 3 euros. Son plus grand regret est de ne pas pouvoir offrir une adolescence tranquille à sa fille. « Elle sait que je ne peux pas lui offrir des vacances ou lui acheter des Converse, par exemple. Mon rêve, ce serait de faire un jour les magasins avec elle et de lui dire : tu prends ce dont tu as envie. » Anne Chemin